des ressources - 04 Juin 2024 - accessibilité

Qu’est ce que le tokénisme ?

Ressources sur la « diversité de façade »

Le tokénisme est la politique ou la pratique consistant à faire un geste superficiel pour l’inclusion des membres des groupes minoritaires. Cet effort symbolique est généralement destiné à créer une apparence d’inclusivité et à détourner les accusations de discrimination[1].

 

Le token c’est le dindon de la farce

Le terme de tokénisme a fait son apparition en France il y a quelques années. Il est formé à partir de « token » qui signifie « jeton » en anglais, pour désigner « le jeton de service », l’alibi de l’inclusivité, l’inclusion de surface, dirait-on en France ; bref, le dindon de la farce. Au Canada, on préfère parler de « diversité de façade » plutôt que de tokénisme, pour éviter l’anglicisme.

L’entrée tokénisme dans Wikipédia définit une pratique consistant à faire des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires dans le but d’échapper aux accusations de discriminations.

Le concept est ancien. Déjà en 1962, Martin Luther King écrivait un plaidoyer contre le tokénisme : « la volonté actuelle de satisfaire son peuple est une illusion. Nous en avons fini avec le symbolique » [2] .  Par là, Luther King dénonçait l’alibi ethnique destiné à laisser quelques rôles ou représentations – souvent secondaires – aux ethnies minoritaires, dans le seul but de s’acheter une bonne conscience[3].

Le principe du tokénisme est simple : faire quelque chose afin de démontrer qu’on suit les règles, non pas parce qu’on trouve ça juste, mais simplement parce qu’on pense que c’est ce qui est attendu.

 

Le tokénisme est un marketing inclusif raté

Le tokénisme surfe sur la vague du marketing inclusif, qui vise à prendre en compte dans les représentations, la diversité de la population, et non plus d’avoir comme norme unique le standard de l’homme cis hétéro blanc bourgeois valide. On se rappelle les prémices du marketing inclusif avec les pubs « United colors of benetton » ou le « Venez comme vous êtes » de Mc Do.

Plus récemment, on pense au remarquable coup de la marque Vitoria’s secret qui a choisi comme égérie Sofia Jirau, mannequin de 26 ans porteuse d’une trisomie 21. Elle rejoint les Anges de la marque pour présenter la lingerie sur les podiums ultra normés de la mode. Cette campagne s’inscrit dans une volonté de la marque de retravailler son image après les propos transphobes et misogynes de ses dirigeants. Nul doute que l’opération marketing est réussie. Mais au-delà de cette stratégie commerciale, on peut espérer que le succès de Sofia Jirau participe d’un mouvement de déconstruction des stéréotypes validistes qui pèsent sur les personnes handicapées.

Cependant, il ne suffit pas de représenter pour faire exister et permettre l’identification. On ne compte plus le nombre de séries qui incluent un personnage LBGTQI+ pour éviter les accusations de manque de diversité, mais qui n’ont pas de consistance narrative. Le « meilleur ami gay » est un trope fréquent, où le personnage est défini principalement par son orientation sexuelle et ne bénéficie pas d’une intrigue propre. Quand il ne meurt pas à la dixième minute du film.

 

Le tokénisme, une discrimination pas très positive

Le tokénisme est donc une action strictement symbolique qui n’a aucun effet dans la lutte contre les discriminations.

En cela, le tokénisme est différent de l’action affirmative autrement appelée discrimination positive. Cette dernière vise à limiter ou compenser les inégalités systémiques par une décision volontariste. Par exemple, certaines entreprises pratiquent des quotas envers les femmes pour contrevenir à la non-mixité masculine de leurs conseils d’administration. Cela permet à des femmes de dépasser le plafond de verre, d’exercer un pouvoir qui ne leur était pas accessible du fait de représentations sexistes.

Le tokénisme c’est l’intention d’une discrimination positive, sans le résultat, sans déconstruction des stéréotypes ou lutte contre la discrimination. C’est un alibi d’inclusion pour faire bonne figure, mais qui ne donne pas véritablement de place ou de pouvoir aux personnes habituellement discriminées.

La discrimination positive tente de créer un terrain de jeu égal en offrant des opportunités aux groupes qui ont été historiquement marginalisés alors que le tokénisme n’a aucune volonté réelle de soutenir des changements sociaux.

Aussi, certaines personnes recrutées en raison de leur genre, de leur religion, de leur origine ethnique vraie ou supposée peuvent se retrouver en difficulté en entreprise, assignées et réduites à la catégorie qu’elles sont censées représenter.

 

Le tokénisme, c’est du validisme

Les personnes qui ont des problèmes de mobilité sont nombreuses à dénoncer les fausses pratiques inclusives : les restaurants qui se disent accessibles et qui recouvrent simple d’une planche leur escalier, sans même s’assurer que l’inclinaison du plan le rend praticable. Sans compter ceux qui certifient que leur établissement est accessible alors que seule l’entrée du restaurant l’est, mais pas les toilettes. Les appartements AirBnB dans lesquels on ne peut accéder à la salle de bain… les exemples sont pléthoriques de bonnes intentions qui restent à côté de la plaque.

De son côté, Emmanuelle Aboaf alerte dans un récent article sur la multiplication des vidéos mal sous-titrées sur les réseaux sociaux (les shorts de Brut, de Kombini, etc.). Alors que les éditeurs de contenu ont l’impression de faire de l’accessibilité, ils produisent des vidéos aux sous-titres automatiques, non corrigés, mal transcrits, incompréhensibles pour les personnes à qui ils sont pourtant destinés. Ces pratiques dévoient les besoins auxquels elles sont censées répondre : permettre à tous et toutes d’accéder à la même qualité de contenu.

Un dernier exemple concerne le DuoDay, une campagne mise en place en 2018 par le Ministère du Travail pour « permettre aux employeurs et employeuses de découvrir les atouts et qualités professionnelles des personnes handicapées, lors d’un moment chaleureux et bienveillant ». En pratique, il s’agit d’une journée de stage découverte en entreprise, non rémunérée pour les personnes handicapée, en duo avec une personne valide. Cette initiative a été étrillée par les personnes concernées qui ont vu là une sorte de « vie ma vie de valide », se sont senties instrumentalisées par les entreprises (l’incitation était faite de poster des photos des duos sur les réseaux sociaux) sans prise en compte des réelles problématiques travail/handicap. Une vidéo parodique dénonce les bons sentiments de cette opération gouvernementale vécue comme du tokénisme.

 

Rien pour nous sans nous

Pour conclure, gardons à l’esprit qu’une inclusion authentique ne peut se penser et s’imaginer qu’avec les personnes concernées. Si l’on veut ne pas s’arrêter à des actions symboliques ou être contre-productif, il faut pouvoir entendre les besoins, la réalités des personnes. Se rappeler que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Rien sur nous, sans nous est un slogan issu des mouvements de luttes politiques en Pologne des années 1500. Cette énergie démocratique et d’auto-détermination en a fait un cri de ralliement des personnes handicapées, afin de ne plus être exclues des décisions qui les concernent.

 

Ressources :

 

>Un article de Rosa Moreira publié en aout 2023 dans la revue Les Yeux du monde. Cet article montre en quoi les élections législatives au Japon en 2009 sont un exemple-type de tokénisme, à partir d’une représentation, toute symbolique, des femmes:

Tokenisme et genre en politique

>Un podcast canadien animé par Annie Picart qui reçoit Gabbie Macguire pour parler de l’inclusion respectueuse des personnes BIPOC (Black, Indigenous, People of color):

Diversité et inclusion sans tokénisme

>Une émission France Inter du 4mai 2023 (3 min.) qui nous éclaire sur Token, le personne de South Park:

D’où ça sort le tokénisme ?

>Une émission ZoomZoomZen sur France inter du 4 mai 2023 (4 min.) un micro-trottoir sur le tokénisme:

Complètement à la rue sur le tokénisme

>Un article de Mrs Roots, blogueuse littéraire, à propos de la représentation des personnages afrodescendants dans la littérature jeunesse:

Une diversité sous couverture(s)

>Un court article qui analyse le personnage de l’officière Specter dans le film d’animation En avant de Pixar:

https://montrealcampus.ca/2022/04/14/quand-le-tokenisme-et-le-marketing-deviennent-synonymes/

>Un ouvrage d’Olivier Esteves et Sébastien Lefait publié en 2014 qui analyse les séries du câble : The Wire, The Sopranos, Homeland, MadMen, etc.:

La question raciale dans les séries américaines

>Un article de Libération d’avril 2018 sur le dispositif Duo Day et la façon dont il a été accueilli:

Duo Day changement de regard ou opération de com sur le handicap

>Un film documentaire de 30 min de l’Organisation Mondiale de la Santé, retraçant le parcours de 6 personnes vivant avec des problèmes de santé qui cherchent à être au cœur des décisions les concernant:

Nothing for Us, Without Us: listening and learning from people with lived experience

 

[1] Définition du dictionnaire Educalingo cité par Mikana : https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/05/Tokinism-def.pdf

[2] Martin Luther King, « Playdoyer contre le tokénisme » (1962), in A testatment of Hope, New York, 1986.

[3] A propos de la carrière de la chanteuse Léontyne Price : un article de Jean-Marc Onkelinx : https://jmomusique.blog/2015/03/29/tokenisme/amp/

  • Médaillon gravé de l'inscription Nothing about us without us
  • Encart de définition du tokenisme: est la pratique consistant à faire un geste superficiel pour l'inclusion des membres des groupes minoritaires.