des inspirations - L'Asso - 12 Déc 2023 - ambiance - graphisme

À toi de faire, ma mignonne!

Inspi #1 Exposition de Sophie Calle au Musée Picasso, 2023

Sophie Calle expose cette année au Musée Picasso. Elle a accepté de célébrer, à sa manière toute singulière, les 50 ans de la mort de l’artiste espagnol. Comme à son habitude, son travail mêle textes et images, images et textes, encadrés par un mode d’emploi de chacune de ses œuvres, explicitement livré au public. On adore !

L’audace

Sophie Calle introduit son exposition en imaginant l’ironie acerbe de sa défunte mère.

2019. Premier rendez-vous et proposition d’investir le musée Picasso en 2023, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’artiste. Sans LUI, si je préfère. Les mots de ma mère se frayent un chemin, le syndrome d’imposture dans leur sillage. Lors d’un vernissage au musée d’Art moderne, à New York, découvrant mes œuvres entre celles de Hopper et de Magritte, elle s’était exclamée: « Tu les as bien eus ! » Cette fois, je l’imagine chuchotant : « Pourquoi toi ? »

Elle accepte et relève le défi lancé par cette exposition qu’elle intitule : à toi de faire, ma mignonne ! Et l’on ne peut s’empêcher d’entendre l’énergie d’empuissantement de la formule.

Une description détaillée de l’exposition est disponible sur le site du musée.

L’image et le texte

Je me présente. Je m’appelle Sophie Calle, je suis artiste, j’utilise la photographie et le texte, et si je résume de façon sommaire mon travail, il apparaît que la plupart de mes projets tournent autour de la disparition… » C’est ainsi que Sophie Calle décrit son travail dans une lettre adressée à un détenu, condamné pour le vol de plusieurs toiles de maîtres.

Pas besoin de feuille de salle pour comprendre le travail de Sophie Calle, le sous-titre fait intégralement partie de l’œuvre. Le texte n’est pas une légende, mais une explicitation, d’une démarche, d’un point de vue, d’un contexte. Aussi, Sophie Calle est photographe et aussi autrice, elle se dit « Artiste narrative ». Elle met en scène des documents de nature diverse, objets, photos, dessins, récits, les articule, comme autant de traces et de moyen de conservation de son propre vécu. Textes et images se complètent, se répondent, se chevauchent souvent, sans que l’on ne puisse déceler de premier plan.

Pour aller plus loin sur cet assemblage texte et image, nous compilons quelques articles :

Isabelle Decarie, Un duel entre la main et l’œil Intensités du rapport texte/image dans certains phototextes de Sophie Calle Études françaises, 42 (2), 25–45, 2006.

Johnnie Gratton, Poétique et pratique du recueil photo-textuel dans l’œuvre de Sophie Calle, in Irene Langlet (dir), Le recueil littéraire, PU de Rennes, 2003.

Laurence Perron, Récupération et détournement des codes référentiels par l’image photographique chez Sophie Calle, L’Atelier, vol 11, N° 1, 2019.

Le dispositif

Sophie Calle travaille à partir de processus, de projets définis par des règles de fonctionnement, ce que nous appelons des dispositifs. Cette dynamique du jeu, et de l’humour, sort le public du caractère parfois abscons de l’art conceptuel. Paradoxalement, alors que Sophie Calle semble se soumettre aux règles qu’elle s’invente, c’est une impression de joie et d’amusement qui émane de ces installations ; la règle comme une contrainte qui libère la performance.

Pour exemple, en 1970, Sophie Calle invite une trentaine de personnes à dormir dans son lit. Les unes et les autres vont se succéder, pendant huit heures, chacune trouvant à son arrivée les traces personnelles du dormeur précédent.

Elle fera de cette expérience un livre, Les dormeurs, présenté dans une archive de l’INA.

En 2007, Sophie Calle demande à une centaine de femmes d’interpréter, à partir de leur posture professionnelle, un mail de rupture qu’elle a reçu et qui se termine par les mots « Prenez soin de vous ». Cette installation se compose de vidéos, de photographies et de textes. Elle présente cette exposition à la BNF à la Télélibre et s’exprime sur son rapport à l’intimité.

Les points de vues

Le travail de Sophie Calle donne la part belle à l’accumulation, l’agglomération, la série, et la multiplicité des points de vue. Ses expositions se présentent a priori comme des mises en scène de son intimité, mais on est surtout saisi – a posteriori – par la multiplicité des regards qu’elle a présentée, des séries de facettes : comment voit-on ? voit-on la même chose ? qui voit quoi ? que voient ceux et celles qui ne voient pas ? que reste-il de ce que l’on a regardé ? La question du regard pluriel est au cœur de l’œuvre de Sophie Cale.

Lors de mes premières visites, La Mort de Casagemas, Grande baigneuse au livre, Paul dessinant, Homme à la pipe et La Nageuse manquaient pour cause de prêt. J’ai demandé aux conservateurs, aux gardiens et à d’autres permanents du musée de me les décrire. À leur retour, je les ai voilés avec les souvenirs qu’ils laissent lorsqu’ils s’absentent.

À Istanbul, j’ai rencontré des aveugles qui, pour la plupart, avaient subitement perdu la vue. Je leur ai demandé de me décrire ce qu’ils avaient vu pour la dernière fois.

Pour aller encore plus loin : un entretien de Sophie Calle dans Bienvenue au club sur France Culture.

  • Œuvre de Sophie Calle. Photographie d'une toile de Pablo Picasso, Maya à la poupée, emballé dans du papier blanc. On ne voit donc pas la toile mais simplement le papier qui la couvre.
  • Texte mis en page de façon justifiée, reprenant les descriptions que font, de mémoire, les conservateurs du musée du tableau de Picasso, Paul dessinant.
  • Sophie Calle, lunette ambrée, chemisier blanc, pose devant le grand escalier du musée Picasso.
  • Affiche de l'exposition de Sophie Calle au musée Picasso qui a pour titre A toi de faire, ma mignonne. La photo est une photo de Sophie, enfant, assise sur une chaise avec des lunettes, une marinière dessinée sur la photo.